La décision rendue par le tribunal administratif de Rouen intervient au cœur d’un débat qui croise sécurité d’approvisionnement, droit administratif et politiques locales. Dès le premier paragraphe, il convient de souligner que le terminal méthanier flottant Le Havre est au centre d’une injonction d’abrogation et de démantèlement ordonnée par la juridiction. Cette décision contraint désormais l’État à reconsidérer l’autorisation d’exploitation accordée à TotalEnergies et ouvre la voie à des implications opérationnelles et financières pour le port et les acteurs régionaux.
Ce que dit la décision du tribunal administratif
Le tribunal administratif de Rouen, dans son jugement rendu publiquement le 16 octobre 2025, a estimé que la condition légale justifiant la mise en service et le maintien en exploitation du FSRU n’était plus remplie au moment du refus ministériel d’abroger l’arrêté de 2023. Le magistrat a notamment pris en compte plusieurs éléments chiffrés et factuels : l’inactivité effective du FSRU depuis août 2024, un taux d’utilisation jugé très faible (estimé autour de 15% sur la période janvier–novembre 2024), et des indicateurs nationaux de stocks et d’approvisionnement ne révélant pas de menace grave.
Le tribunal a donc annulé le refus ministériel et enjoint le ministre chargé de l’énergie de procéder à l’abrogation de l’arrêté dans un délai de deux mois. Le texte de la décision est consultable via le texte de la décision du tribunal administratif de Rouen.
Les caractéristiques techniques et le contexte d’exploitation
Le terminal méthanier flottant exploité par TotalEnergies, souvent désigné sous l’appellation FSRU « Cape Ann », a été mis en service à l’automne 2023. Il dispose d’une capacité de regazéification nominale d’environ 5 milliards de m3 par an (≈50 TWh/an) et d’une capacité de stockage d’environ 142 500 m3.
Cet équipement a été autorisé en vertu de mesures d’urgence relatives à la sécurité d’approvisionnement, inscrites dans la législation post-2022. Le dispositif a été présenté initialement comme un instrument transitoire, susceptible d’être mobilisé en cas de tension sur les approvisionnements européens.
Usage réel et données opérationnelles
Plusieurs rapports et articles de presse ont documenté un faible niveau d’utilisation du FSRU durant sa première année opérationnelle. Selon les éléments examinés par la juridiction et repris par la presse, le navire n’a pratiquement pas été employé depuis août 2024, et le faible taux d’activité a été un facteur déterminant dans l’appréciation de la nécessité publique initialement invoquée.
Conséquences juridiques et voies de recours
La décision judiciaire ne ferme pas la porte à un appel : l’État et TotalEnergies disposent de la possibilité de se pourvoir devant le Conseil d’État. Tant que des recours sont possibles, l’exécution pratique de l’injonction (démantèlement, retrait du FSRU) peut être suspendue ou différée selon les mesures conservatoires et les décisions des juridictions supérieures.
Sur le plan administratif, l’injonction d’abrogation impose au ministre d’adopter une décision formelle dans un délai précis. L’abrogation effectera la suppression de la base juridique permettant l’exploitation continue du terminal si elle est confirmée et si aucun recours suspensif n’est adopté.
Impacts opérationnels et économiques pour la Normandie
À court terme, l’injonction de démantèlement soulève plusieurs questions pratiques : qui financera le retrait ou la remise en état du site portuaire ? Quel sort sera réservé aux investissements réalisés localement, notamment les raccordements et travaux portuaires ?
Des montants publics et privés ont été engagés : des investissements de raccordement et d’infrastructures ont été chiffrés lors du montage du projet (ordre de grandeur évoqué publiquement pour certains travaux : ~33 M€ de raccordements pour la partie gazoducaire). La remise en cause du terminal pourrait générer des conséquences financières pour les sous-traitants et prestataires locaux, ainsi que des questions sur la pérennité des recettes liées aux redevances portuaires.
Enjeu pour le Grand Port Maritime du Havre
Le Grand Port Maritime du Havre se trouve au cœur des débats : d’un côté, l’opération d’accueil d’un FSRU a généré des activités et des contrats ; de l’autre, l’arrêt ou le retrait du navire entraînerait une modification du modèle d’activité et des calendriers d’exploitation. Les autorités portuaires devront coordonner les démarches techniques, administratives et environnementales liées à tout démontage.
Réactions des acteurs : État, TotalEnergies, société civile
TotalEnergies a indiqué, dans ses premières réactions publiques, qu’elle examinera les voies de recours et que la société plaidera la conformité de ses démarches avec le droit en vigueur et les besoins de sécurité d’approvisionnement. Les informations techniques et la présentation du projet peuvent être consultées sur la fiche projet diffusée par l’opérateur : fiche technique du FSRU publiée par TotalEnergies.
Les organisations environnementales et certains collectifs locaux ont salué la décision, la présentant comme une victoire sur la superposition d’urgences énergétiques et d’intérêts industriels. Par exemple, le communiqué de Greenpeace France accueille favorablement le jugement et appelle à une accélération des investissements bas carbone.
Quels enseignements pour la politique énergétique nationale ?
La décision du tribunal met en lumière la tension entre deux impératifs : la nécessité de disposer d’outils flexibles pour sécuriser l’approvisionnement, et l’exigence de justifier leur maintien au regard d’indices concrets de risque. Les juridictions semblent exiger une évaluation dynamique et chiffrée, non seulement une simple prudence préventive.
Si la motivation juridique retenue par le tribunal devait servir de précédent, d’autres autorisations obtenues dans des cadres similaires pourraient être réexaminées, notamment lorsqu’elles reposent sur des justifications de crise devenues moins tangibles.
Impacts sectoriels
- Investissements privés : risque de renégociation contractuelle et d’éventuelles pertes pour les acteurs de la chaîne logistique.
- Régulation : renforcement probable des exigences d’évaluation d’impact et de nécessité pour les autorisations d’urgence.
- Transition énergétique : accélération des débats sur la place du gaz importé vs développement des renouvelables et gestion de la demande.
Scénarios possibles et calendrier prévisible
Trois scénarios principaux se dessinent :
- Un recours devant le Conseil d’État suspend l’exécution de l’injonction et laisse le terminal en place pendant la durée du contentieux.
- L’État abroge l’arrêté dans le délai et organise le retrait du FSRU, avec plan financier pour le démantèlement et la remise en état.
- Un compromis administratif ou contractuel est trouvé (requalification d’usage, réengagements opérationnels), réduisant l’impact immédiat mais modifiant la nature de l’exploitation.
Le calendrier dépendra fortement des décisions de recours : un pourvoi pourrait prendre plusieurs mois, voire plus d’un an, tandis qu’une abrogation suivie d’un retrait technique impliquerait des opérations d’ingénierie portuaire planifiées sur plusieurs semaines à mois.
Ce que doivent retenir les acteurs normands
Pour les collectivités, les industriels et les prestataires normands, la décision impose une attention accrue aux clauses contractuelles et aux garanties financières liées aux opérations exceptionnelles. Les directions industrielles des sites portuaires et des entreprises sous-traitantes devront auditer leurs expositions et préparer des scénarios alternatifs.
Sur le plan RH et logistique, tout plan de désengagement doit prévoir la reconversion des moyens humains et matériels mobilisés pour le FSRU afin de limiter les effets locaux négatifs.
Voies d’adaptation et opportunités
La situation peut aussi ouvrir des opportunités : redéploiement d’activités vers des services portuaires liés aux énergies renouvelables, montée en compétence sur la déconstruction industrielle et la gestion de sites, ou relocalisation d’investissements vers des projets de décarbonation. Les autorités locales pourront chercher des plans de résilience économique pour amortir l’arrêt potentiel de l’activité liée au terminal.
Perspectives et suites attendues
À court terme, il faut suivre trois éléments : la décision éventuelle de l’État dans le délai légal de deux mois, les communications officielles de TotalEnergies sur ses intentions juridiques et opérationnelles, et la position du Conseil d’État en cas de recours. Le lien vers le dossier technique et les communiqués officiels permettra aux lecteurs de consulter les sources primaires et d’anticiper les suites.
La décision du tribunal administratif de Rouen constitue un signal fort : elle rappelle que la mise en œuvre d’outils d’urgence en matière énergétique devra être assortie d’une évaluation continue de leur pertinence, sous peine de contestation judiciaire. Pour la Normandie et le Havre, l’enjeu est à la fois juridique, industriel et économique.
Quelles suites pour le port et l’industrie locale ?
Le port du Havre et les acteurs économiques régionaux doivent se préparer à des adaptations opérationnelles et contractuelles. Que l’affaire soit portée devant le Conseil d’État ou que l’abrogation soit mise en œuvre rapidement, il sera indispensable de définir des plans de gestion des impacts, des aides ciblées pour les sous-traitants, et des stratégies pour réorienter les investissements vers des filières durables.
Les prochains mois seront donc déterminants pour mesurer l’ampleur réelle des conséquences et pour tracer des réponses industrielles et politiques adaptées au territoire.






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